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Between different worlds
25 janvier 2020

Marathon

Ce fut un été spécial, un tournant, la fin d´un chapitre, le début d´un autre, la fin d´une première vie, le début d´une autre, une coupure, une blessure, une déchirure, une injustice. Il les avaient déposés, un 12 août, impossible de leur dire au revoir le jour de leur vrai départ, jour qui ne lui a été communiqué que bien trop tardivement. Ses enfants étaient partis, loin. FIN

Leurs voix, leurs chamailleries, leurs rires résonnent dans l´appartement. Leurs bureaux sont restés intacts, comme s´ils reviendraient la semaine d´après. Seul chez lui, tout tourne, il tourne. S´il tourne indéfiniment, le vertige le prendra, le fera vaciller et le fera tomber alors il faut se relever avant de tomber. Une solution pour ne pas avoir le vertige est donc de ne pas tourner en rond, de prendre des sentiers, de découvrir des routes, de décourager cet être tourneur de têtes, de l´écraser par le poids de la volonté, de l´éblouir des rayons du surpassement de soi.

 Il se mit à courir, à construire une base, à préparer ce surpassement, pour, début septembre, se lancer dans un entraînement de 18 semaines à suivre à la lettre. 18 semaines pour le mener à ce surpassement qui sera la distance mythique de l´épreuve du marathon. Ce surpassement de soi non pour recoudre la déchirure, mais pour vivre avec la douleur, pour l´intégrer, pas pour l´accepter, pour l´intégrer.

Le plan d´entraînement trouvé sur internet, à raison de 4 à 5 sorties par semaine. Les jours non courus sont utilisés pour le repos mais bien souvent consacrés à un autre sport. Il savoure dans ce cas être dans l´eau, faire ces multiples va-et-vient. Il est bien dans l´eau, comme dans un cocon.

L´automne étant imminent, très vite les séances se déroulent dans l´obscurité pour virer ensuite dans le noir, le froid, la pluie. La tentation de rester chez soi est grande, mais la volonté est plus forte. Abdiquer, c´est abandonner et c´est aussi quelque part accepter, se résigner. Il n´accepte pas la situation. Continuer est montrer qu´il va au-delà.

 

Course d´endurance le lundi

Natation le mardi

Course d´endurance le mercredi suivie de séries de sprint en montée

Natation ou vélo le jeudi

Course d´endurance raccourcie le vendredi suivie d´accélérations successives.

Course longue le samedi

Repos le dimanche

 

Cette cadence rythmera ses semaines. Quand il est mentalement faible, il pense à eux, à ses enfants, comme s´il courait vers eux.

 La date est prise et la course mythique sera le 19 janvier à Pulheim, près de Cologne. Dans la foulée, le ticket de train est réservé. Un ami (et marathonien), Julien, le récupèrera la veille à la gare de Cologne…

Une fois la date prise le recul n´est plus possible. Non que cette idée lui soit venue à l´esprit mais cet acte donne un poids supérieur à cette volonté et ancre les semaines qui suivent dans une routine plus déterminée.

Les multiples séances préparent le corps à ce défi physique et les sorties longues façonnent le mental qui prendra le relais à partir du 30e ou 35e kilomètre, lorsque le corps aura épuisé les réserves. Ceci sera bien visible lors de la dernière sortie longue, qui est notamment de 30 kilomètres.

 Plus que deux semaines avant l´échéance. Alors que l´intensité de l´entraînement diminue, il est recommandé de faire le plein de glucides, et de protéines : matin, midi et soir.

La dernière semaine sera marquée d´excitation, d´impatience, d´adrénaline. Ce sont les 3 dernières séances d´entraînement : dernières montées, dernières accélérations, dernière endurance. Cette semaine sera marquée aussi de satisfaction. Rien que le fait d´être allé au bout de cet entraînement est une victoire en soi. Ne pas avoir lâché, être allé courir sous la pluie alors que le moral n´était pas au plus haut. Avoir effectué systématiquement la séance de 20 minutes de renforcement musculaire des jambes et abdominaux avant chaque sortie, puis la séance d´étirement systématique en rentrant. Réglé comme un métronome qui régit la musique du souffle.

 Samedi 18 janvier, 8h46, départ de Hambourg. Quatre heures de train, quelques pages lues, quelques phases de sommeil, et beaucoup de phases à regarder ce paysage qui défile.

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12h50, arrivée à Cologne, Julien attend avec sa charmante fille en bas des quais. Embrassade, sourire et c´est parti pour aller dans une des typiques brasseries de cette ville où le breuvage de chacun est la Kölsch, énième tentation pour le futur marathonien, eh bien non, il prendra une bière sans alcool, pas facile dans cet établissement…..et pour passer la frustration, un Apfelstrudel. A ce moment, le cerveau répond à la question de Madame Discipline Alimentaire en disant « non, non, ce sont des fruits, des sucres lents, un plus pour demain ».

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Ils quittent Cologne pour aller chez Julien, qui préparera pour le dîner une bonne plâtrée de pâtes bolognaise aux légumes, repas salvateur et incontournable du coureur la veille d´une course.

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Dernières discussions sur le lendemain, heure du réveil, du petit déjeuner, du départ,….

 

6h30, 19 janvier : réveil. Petit déjeuner simple, 3h30 avant le départ de la course : pain, fromage, confiture, banane, thé. Surtout rien d´acide.

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8h, c´est parti, en route pour 45 minutes de voiture pour se rendre à Pulheim. Il pleut, mais la meteo annonce un temps sec pour 10h. Il est dans sa bulle mais l´adrénaline monte.

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Les dossards sont remis au lycée de Pulheim. Le hall d´entrée accueille les coureurs, des tables et chaises jonchent le hall. Des stands de produits énergétiques, de chaussures de course, de vêtements sportifs, de dépliants sur les centaines ou milliers de courses en Allemagne et de par le monde permettent d´essayer de faire baisser le stress qui monte. Il faut faire baisser ce stress car il est énergivore.

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Des coureurs sont assis, regardant dans le vide pour s´y retrouver. D´autres, des habitués, discutent, rient, d´autres font quelques étirements.

Je ne peux pas tenir en place et Julien m´incite à rester assis, ce que je fais….

 9h45, je pars faire ma séance de renforcement musculaire des jambes et abdos habituelle. D´autres personnes font des allers-retours en courant. Ce doivent être les coureurs du 10 km ou ceux qui font le relais. A quoi ça sert de courir avant de courir pendant 42 kilomètres…. ?

 10h05, les coureurs sont amenés à se diriger vers point de départ. Dernier salut à Julien. Motivé plus que jamais, j´irai au bout. 10h15, c´est parti pour huit boucles, huit fois le même tour avec 2 grandes lignes droites de deux kilomètres, lignes bordées de champs insipides….

L´allure qui doit être maintenue est connue et je ne me laisse pas aller à l´euphorie du départ, entouré notamment de gens qui courent plus ou moins vite. Tout le monde est mélangé : les coureurs du 10 km, du semi-marathon relais et individuel et du marathon relais et individuel, sans compter les coureurs en club.

Les 25 premiers kilomètres se passent sans encombre, le corps est bien, la foulée légère, souffle lent. Ces deux lignes droites sont décidément très ennuyeuses. Le petit kilomètre couru dans la ville est vécu comme une recharge : musique entraînante, des gens qui applaudissent, encouragent…mais une fois sortis, le public se fait rare… Passage régulier devant Julien qui en profite pour se faire un 10km marche. Nous nous croisons donc à différents endroits, côté drôle et intéressant d´un marathon en boucle.

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 Passé le 25e kilomètre, cette douleur connue du genou droit commence à se manifester, rien de bien méchant mais je sais qu ´elle ne fera que croître. La cadence est maintenue, environ 5 minutes du kilomètre (12 km/h). Au 28e , le genou fait clairement comprendre qu´il a l´intention de mener la compétition, qui consiste en lui d´arrêter avant la fin. Les jambes commencent à s´alourdir petit à petit, les 14 derniers kilomètres, qu´il faut s´imaginer comme étant une montagne à franchir à cette étape de la course, s´annoncent durs.

30e kilomètre, la douleur est là, à chaque foulée, cette sensation du ligament extérieur qui vient frotter contre les os, commence à être pénible…..30e kilomètre, tout ce qui arrive est nouveau, l´inconnu….

Je pense à Julien qui doit m´attendre quelque part dans la ville, à qui j´ai confié trois photos imprimées sur papier A4, une photo de la Princesse qui tire la langue, une photo du Fils prise dans la voiture qui lève un bras en l´air, tout souriant, et une photo d´eux deux courant dans un jardin…

Nous arrivons dans la ville, je cherche Julien du regard et l´aperçois. Il m´encourage, me demande comment ça va, « là ça commence à être dur » lui dis-je « vas-y continue, tu as bientôt fini, lâche pas ». Je lui demande les photos, que je prends dans mes mains, que je regarde de suite. En voyant leurs visages, la douleur s´efface, je cours pour eux pour leur dire un jour que j´y suis arrivé, pour leur dire un jour l´objectif de ce défi….les larmes montent. Julien fait quelques foulées puis me donne des encouragements avant de me laisser continuer cette course qui commence à glisser vers le calvaire.

Je plie les photos que je garde dans une main. L´espace d´un instant, je sens leur présence physique, les tresses de la Princesse, la boule de cheveux du Fils.

33e kilomètre, la douleur s´accentue, la foulée change, le genou droit a de plus en plus de mal à plier, je dois ralentir la cadence et me retrouve seul l´espace de quelques minutes. A ce moment de la course, les 9 derniers kilomètres qui, lors de mon entraînement, s´apparentaient plus à une bonne mise en jambes, sont perçus comme étant un objectif impossible à franchir. Après plusieurs combats internes, je ralentis fortement jusqu´à marcher…..mais la détermination reprend, non seulement pour atteindre le but, mais aussi car si je marche trop, ce sera très dur ensuite de se remettre à courir.

Alors je redémarre après 20 secondes de marche….mais la douleur s´accentue…..normal, le corps a commenceé à se refroidir…..je cours donc l´espace d´une ou deux minutes et à nouveau je m´arrête. Ayant fait 2h33 pour 30 kilomètres, je commence à calculer le temps qu´il faudrait si je dois finir en marchant, afin de ne pas être éliminé (boucler le marathon en moins de 5 heures). Et je commence à réaliser qu´à une moyenne de 6 km/h en marchant, ce serait possible…….jusqu´à…..être dépassé par un couple de coureurs, une femme et un homme…..qui, courant à petite allure, me sortent de ce dialogue interne et l´idée vint simplement de les suivre.

En arrivant à leur niveau, je remarque qu´ils discutent tranquillement, comme si nous étions dans une sortie footing toute douce….j´hallucine, moi qui suis à bout, et je le leur dis. En guise de réponse « oui, bien-sûr que nous discutons, pourquoi ? ». Je leur fais part de mes qualités de pur novice dans ce genre d´épreuve et que la seule chose à laquelle je pense, c´est d´arrêter…

A partir de ce moment, ces 2 personnes d´une cinquantaine d´années, seront la bouée de sauvetage. Nous commençons à parler tous les trois, ils révèlent être en effet des habitués, que ce marathon fait partie d´un plan d´entraînement pour de plus longues courses, la dame prend les photos des enfants pour me les montrer me disant qu´ils seront fiers d´avoir un papa marathonien, etc… et tout au long des 9 derniers kilomètres, bien que la douleur à ce genou persiste et ne baisse pas, le mental a pris le dessus, il a été diverti.

Merci à Andi et Caroline pour leur positivisme…

Les deux derniers tours s´avèrent douloureux mais faisables. Je passe devant le panneau 40e km, les larmes montent car je sais que je vais aller au bout, je n´arrive pas à y croire. Les séances d´entraînement défilent, les refus de sortie, la fatigue, tous ces efforts…qui sont récompensés par ces deux derniers kilomètres qui me feront reprendre définitivement le dessus sur beaucoup de choses.

Ces presque 800km d´entraînement pour deux kilomètres de consécration.

Nous courons pour la dernière fois sur cette ligne droite en direction de la ville, je sais que Julien attend à l´arrivée…je dis un grand merci à mes 2 bouées, je demande à Caroline de me redonner les photos et j´accélère, les laisse (ils ont encore un tour à faire), je vois la ligne d´arrivée, Julien, la douleur a perdue, est refoulée, intégrée, elle est en moi, je ne l´accepte pas mais je vis avec, et je franchis cette ligne d´arrivée de ce marathon….remise de médaille…l´espace d´un instant, je suis comme hébété, ne réalise pas, reste un moment immobile. La première pensée qui me vient à l´esprit fut « voilà, c´est fait », puis l´émotion me prend de partout et j´éclate en sanglots, Julien me prend dans ses bras, je pense aux enfants, je pense à tout ce qui aura été couru, à toutes les tensions traversées, pour en arriver là, à ce défi….

Sonné, je reviens petit à petit…satisfait, le sentiment d´avoir réalisé quelque chose.

 3h46 de course… un souvenir inoubliable et assurément un puits d´énergie positive pour l´avenir.... et merci à un ami de toujours pour l´accompagnement précieux des 18 et 19 janvier 2020.

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